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  • Marion Sérignan
  • J'habite chez mes cinq chats dans la région d'Avignon. Grâce à eux j'écris des livres et des articles sur mon blog.
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2 octobre 2009 5 02 /10 /octobre /2009 23:25






          Le retour du beau temps permet aux chattes de retrouver leurs habitudes de l'après-midi : promenade, sieste, chasse, dîner, promenade du soir... c'est à ce moment-là que je les perds de vue. Persuadée qu'elles ont encore fugué dans le golf, je me rends à leur passage secret au bord du grillage. Sur le terrain, le beau temps a attiré des joueurs qui s'attardent, mais les golfeuses à quatre pattes n'y sont pas. Alors que je retraverse la pelouse en direction de la maison, Philippe m'appelle :
          -Tes chattes te quittent !...
          Elles marchent à la queue leu leu, à la limite de la propriété, sur le sentier qui borde le pré en friche à droite du chemin : Yom Yom en tête, suivie de Guenièvre, puis Tanit et Antinéa... Elles traversent le chemin et poursuivent leur périple sur le sentier en bordure du pré, à gauche... Elles marchent d'un pas décidé, sans hésitation, la queue dressée, en direction de leur ancienne maison... Elles ne s'arrêtent pas une seconde, et, au moment où elles disparaissent à ma vue (je me suis avancé au milieu du chemin), Antinéa se retourne et me lance le regard coupable que je connais bien. Cela ressemble à une mutinerie où je n'y connais rien. Je n'interviendrai pas. Laissons-les retrouver le demeure hantée et ses fantômes, ça me fera des vacances !
          De retour sur la terrasse, j'aperçois, dans le soleil couchant, l'élégante silhouette de Zelda sur la pelouse ; elle exécute une danse sophistiquée autour d'une balle de golf qui a atterri là grâce à un joueur maladroit mais sûrement athlétique, vu la distance. La petite indépendante n'a pas participé à la mutinerie et ne semble pas préoccupée par l'absence des autres. Elle est même très gracieuse avec moi, acceptant une rapide caresse sur sa jolie robe de soie. Elle est bientôt rejointe par Salammbô qui paraît avoir de la sympahie pour elle. "Miss Chaussettes" lui lance un regard effronté et effectue une pirouette, avant de s'élancer vers le jeune acacia ; une poursuite s'engage qui se termine sur le tronc du malheureux arbre.
          (...)
          Avant la fin du jour, ne pouvant résister à une curiosité inquiète, je fais une incursion dans la cour de la maison abandonnée : personne en vue... mes appels restent sourds. Mais j'ai cru déceler un mouvement dans l'enchevêtrement des poutres qui soutiennent le hangar encore debout. Après tout, c'est là que les chattes ont dormi pendant des années ; elles ont bien le droit à quelques élans nostalgiques vers un retour aux sources ! Elles me trouvent sans doute tyrannique et perçoivent mes inquiétudes comme une atteinte à leur sacro-sainte liberté.
          (...)
          Contrairement à mes craintes, Zelda n'a pas pris à son tour le chemin de la vieille maison. Elle joue à cache-cache en solitaire dans les épinards qui n'ont pas été cueillis, se faisant des frayeurs lorsque les longues tiges remuent, déplacées par sa course folle. Alors, elle stoppe net et se retourne d'un bloc, hérissée, les oreilles couchées, pour faire face à un ennemi imaginaire. Plus tard, dans la soirée, je la retrouve tire-bouchonnée sur le coussin de sa cabane, prête pour la nuit...
          Mais les autres chattes ne sont pas revenues ; elle ne sont ni dans la "Résidence", ni dans le hangar - sur la simca ou à l'intérieur. Elles ont bel et bien déserté. Vexée, mortifiée même, je m'écroule su le canapé à côté de Salammbô ; Babouche vient se pelotonner sur mes genoux tandis que Philippe monte se coucher. Je me plonge dans Le temps de l'innocence, le roman d'Edith Wharton, que j'ai eu envie de lire après avoir vu le très beau film de Martin Scorsese ; c'est l'histoire, dans les années 1870, d'une jeune femme que la bonne société new-yorkaise rejette parce que son goût de l'indépendance est incompatible avec les conventions sociales de l'époque. La lecture m'absorbe mais, si j'en ai le courage, j'irai faire un tour à la maison abandonnée avant d'aller me coucher.
          ...C'est la pleine lune, je n'ai pas besoin d'allumer ma lampe pour y voir clair. La maison paraît plus haute, comme couronnée d'un étroit donjon en ruine... Il n'y a pas un souffle de vent, et pourtant les branches dénudées des arbres s'agitent comme des mains griffues, menaçantes dans la lumière irréelle... Arrivée dans la cour, je me fige en entendant une série de cris à vous glacer le sang... du registre aigu "mrouiiiii... !" qui vrille les tympans, au grave "maaaaooouuh... !" qui semble surgir d'outre-tombe... Dracula, à présent familier des lieux, s'avance vers moi de son pas majestueux, m'attrape par l'épaule et, levant un bras immense en faisant tournoyer sa cape, me murmure de sa voix désincarnée :
          - Ecoutez.... ! Les Enfants de la Nuit... !
          Hypnotisée, je lève les yeux vers le toit du hangar que me désigne sa main décharnée... Quatre paires d'yeux rougeoyants dirigent vers moi des rayons lasers qui me paralysent...
          Soudain, il fait grand jour, le vampire a disparu, la maison paraît coquette sous le soleil matinal. Les volets vert pomme, fraîchement repeints, claquent contre la façade piquetée de roses grimpantes. Aux fenêtres, Yom Yom, Guenièvre, Tanit et Antinéa m'observent avec des regards graves, et se mettent à parler en même temps comme le choeur antique dans le film de Woody Allen :
          - Si tu viens en visite, sois la bienvenue. Mais ne compte pas nous ramener à la "Résidence". Nous en avons assez de nous plier aux règles de la société new-yorkaise : brunch, promenade sur la Cinquième Avenue, sieste, collation, golf dans Central Park... Vous avez trop de principes, vous êtes trop puritains, et snobs en plus ! Nous refusons l'hypocrisie, nous voulons être indépendantes ! Nous préférons vivre avec les vampires !
          J'essaie de leur répondre mais aucun son ne sort de ma bouche pétrifiée...
          Les volets sont fermés à présent, et des voitures roulent à toute allure autour de moi, me frôlent presque... On a déplacé la route ! Elle passe juste dans la cour de la maison ! C'est dangereux, les chattes pourraient se faire écraser ! Comment les convaincre de revenir puisque j'ai perdu la voix ?! De plus, mes pieds s'enfoncent dans l'asphalte... Je suis aspirée par la route !... Dans un effort désespéré pour crier, j'émets un coassement misérable et fait un bon sur mon fauteuil en ouvrant les yeux... Babouche et Salammbô sursautent en même temps et se retrouvent sur le tapis, me regardant avec des yeux ronds... Quel cauchemar !
          Furieuse de ce sommeil importun troublé par la mutinerie des chattes, je monte me coucher non sans avoir, auparavant, observé la "Résidence" une dernière fois : Zelda est toujours là et dort comme un bébé ; les autres cabanes sont vides.
          (...)



     
        

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