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Cette petite histoire a été publiée dans Le pied dans l'encrier,
le bulletin de liaison des Editions Les 2 Encres
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Anecdotes félines
Lieu
Un mas de Provence
Epoque
2002, une année d'élection présidentielle
Personnages
Les chats de Marie
Marie : une mère à chats
Anne : sa meilleure amie, déprimée
( Zelda n'est pas présente dans cette histoire.
Elle vit chez Anne dans toutes les fictions )
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- Quelle histoire ! J'ai fini par attraper la souris.
C'est Woody qui l'avait apportée, vivante, dans le salon en fin d'après-midi. J'étais devant l'évier en train de faire la vaisselle des chats. Oui, je fais la vaisselle des chats. Si je devais mettre leurs gamelles au lave-vaisselle, je passerais mon temps à le faire marcher puisqu'ils passent leur temps à faire des collations diverses : petit déjeuner, brunch, déjeuner, goûter, lunch, cocktail, diner, souper, réveillon... que sais-je encore ?
Bref, j'étais dans la cuisine et j'ai entendu couiner. J'ai eu juste le temps de voir la souris se faufiler sous le pétrin, puis mon Woody me jeter un regard rapide avec ses yeux jaunes tout ronds et un peu nigauds, avant de s'accroupir, nez collé au pétrin.
Aussitôt, branle-bas de combat ! Sur les huit, il y en avait cinq autour du meuble. Salammbô et Scott avaient été tirés de leur sieste profonde sur les fauteuils, Yom Yom et Gros-Gros-Bikini-Lancelot, qui paressaient sur la terrasse, avaient volé - façon de parler car ils sont lourds - à travers le rideau de chenille, sur les traces de Woody.
Et tous, accroupis ou couchés, le nez au raz du sol, contre le bas du pétrin... pendant d'interminables minutes...
Dans la soirée, la souris a quitté régulièrement son dessous de pétrin pour traverser subrepticement le coin salle à manger et se réfugier sous le buffet de la cuisine. Et inversement. Chaque fois, elle avait au moins deux chats à ses trousses, deux "Tom" qui me lançaient le même regard nigaud parce qu'ils s'étaient encore fait rouler dans la farine par cette "Jerry" aussi vive et plus vraie que la souris des cartoons.
A la fin, épuisés, déçus, vexés, humiliés, mortifiés comme Jospin au soir du premier tour - je me moque mais j'ai voté pour lui -, les huit étaient lovés dans leurs fauteuils, paniers à fleurs, paniers-pantoufles-chiens-pandas.
Moi, je lisais, mais d'un oeil seulement.
Vers minuit, j'ai perçu un mouvement furtif, et vu la souris traverser le salon, puis se faufiler derrière le poster de Klimt qui masque, au raz du sol, la misère du mur couvert de salpêtre. Je me suis précipitée, mon verre vide à la main - j'avais fini mon whisky. J'ai touché la souris, qui bougeait mollement, à travers le papier épais. Je lui ai donné un coup léger pour la faire descendre, et l'ai pêchée dans mon verre, au bas du mur. J'ai bouché le verre avec un prospectus de Le Pen qui a au moins servi à ça, et me suis dépéchée de sortir sans bruit dans le jardin pour libérer la pauvre bestiole dans la haie de lilas.
Lorsque je suis rentrée, les huit étaient toujours lovés dans leurs couchettes, perdus dans leurs songes de chats. Ou alors - je penche pour cette hypothèse - ils m'ont vue du coin de l'oeil, mais, épuisés, déçus, vexés, humiliés, mortifiés comme Jospin au soir du premier tour, ils ont fait comme si de rien n'était.
Marie parle. Elle est douée pour raconter ses histoires de chats. Mais elle a du mal à capter l'attention d'Anne, toujours prostrée sur ses coussins.
Pas découragée pour autant, elle enchaîne :
- Et tu connais la dernière de Philippe ? Il a trouvé Lancelot en train de gratter dans la terre, contre la haie qui nous sépare du golf, et lui a dit en riant : "Alors mon gros, tu fais ton caca ?" Il a alors entendu un bruit furtif, juste derrière la haie, et a eu le temps d'apercevoir, à travers les feuillages, un homme accroupi dans le fossé à sec au milieu des herbes folles, avant que celui-ci ne se redresse et s'éloigne discrètement, comme si de rien n'était. Un golfeur qui cherchait sa balle.
Un fou rire irrépressible secoue Anne sur son canapé... Elle ne peut plus s'arrêter... elle pleure...
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